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Index de l'article

Une ville lumière

Cette décision de construire un faux Paris peut sembler à l’homme du XXIe siècle parfaitement aberrante. Pour autant, elle n’est pas complètement dépourvue de sens commun.

De fait, les bombardements diurnes de la capitale ne sont quasiment plus d’actualité à partir de 1917, car beaucoup trop risqués en raison des systèmes de défense antiaérienne qui se sont sophistiqués depuis les débuts de la guerre ; l’importante concentration des pièces d’artillerie antiaérienne autour de Paris est très dissuasive ; les raids sont donc essentiellement nocturnes. La nuit, les aviateurs, ne disposant pas de radar, s’orientent à la clarté de la lune et à la lueur des étoiles. Une brochure confidentielle française consacrée au bombardement aérien publiée en 1918 explicite ce que l’on peut observer alors, selon la visibilité : bois, routes, cours d’eau, lacs et étangs. Cette brochure précise que la visibilité est excellente lors des nuits de lune, qu’elle “oblige à plus d’attention et à quelques précautions lors des nuits sans lune » et que la découverte d’indices par très mauvaises nuits requiert, elle, un « travail scrupuleux ».7

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On peut aussi aisément concevoir aujourd’hui que les pilotes de bombardiers de nuit s’orientaient vers Paris en suivant les voies ferrées grâce aux lueurs des trains qui fonctionnaient à la vapeur. Il n’est pas non plus à écarter que l’ennemi d’alors fût informé de la construction de ces fausses cibles. Mais peu importe, l’essentiel, comme le conclut l’article de L’Illustration était que tel aviateur ennemi se laisse prendre « au mirage d’une fausse usine ou d’une gare simulée »8. Dans un article de la Revue militaire française paru à l’hiver 1930, le lieutenant-colonel Vauthier, revenant en détails sur l’édification de ce faux objectif, rejoindra lui aussi les conclusions de L’Illustration : « Quand apparaîtra à ses yeux un objectif dont il [le pilote] reconnaîtra la forme, il n’aura pas toujours une liberté d’esprit suffisante ni même les éléments de jugement indispensables pour démêler le vrai du faux. Connaissant l’existence de faux objectifs, il aura tendance à se demander, même pour les vrais : est-ce un faux ? Ce doute jeté dans les esprits de l’attaque est déjà un résultat appréciable. »

C’est donc dans cet état d’esprit que fut conçu le faux Paris ; le plan de ces objectifs factices comprenait l’organisation de trois zones :

Une zone au Nord-Est de Paris - reproduisant l’agglomération de Saint-Denis, les usines d’ Aubervilliers, les gares de l'Est et du Nord de Paris constituant l’objectif A - translatée dans un quadrilatère situé entre Roissy-en-France, Louvres, Villepinte et Tremblay-en-France, dite zone A’ ;

Une zone au Nord-Ouest de Paris : ce projet était le plus ambitieux ; un faux Paris - constituant l’objectif B - était prévu sur la boucle de la Seine près de la forêt de Saint-Germain. Il devait reproduire le chemin de fer de la petite ceinture, certains points remarquables de la capitale comme le Champ-de-Mars, le Trocadéro, la Place de l’Étoile et celle de l’Opéra, les Champs-Élysées, les grands boulevards ainsi que les gares des Invalides, d’Orsay, de Montparnasse, d’Austerlitz et de Lyon. Cet objectif B’ se situait entre Maisons-Laffitte, Herblay et Conflans-Sainte-Honorine. À cet endroit, le méandre de la Seine ressemble à s’y méprendre à celui qui traverse la capitale ;

Une zone à l’Est : l’objectif simulé C devait figurer une agglomération importante d’usines fictives dans les régions de Chelles, Gournay, Vaires-sur-Marne, Champs, Noisiel et Torcy, il se situe dans la zone dite C’.

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On trouve une description de ce projet dans Quand Paris était une ville-lumière, le livre du général Pierre-Marie Gallois10 et notamment de l’objectif B’ : « De fausses gares, des places et des avenues factices, simulées par des lumignons adroitement disposés dans la forêt de Saint-Germain, auraient donné à l’ennemi aérien l’illusion de survoler un Paris au couvre-feu mal observé. Des sortes de plateaux roulants, portant des lampes tempêtes et tirés par des chevaux, formeraient des "trains" entrant ou sortant des "gares", elles-mêmes balisées par des feux fixes. Sur la Seine, quelques péniches vaguement éclairées évolueraient lentement. Ainsi seraient égarés les aviateurs allemands, la forêt de Saint-Germain passant à leurs yeux pour une cible "rémunératrice". »

Une autre description de ce projet, plus précise et plus exhaustive, se trouve dans le numéro spécial « Chemins de fers » de la revue La Vie du Rail du 11 novembre 1968, notamment de la zone Nord-Est : « l’art de l’ingénieur électricien devait ici se doubler d’une subtile psychologie, qui est l’âme du camouflage. Pour imiter les lueurs des foyers des locomotives en marche, on utilisait des lampes de différentes couleurs éclairant alternativement des vapeurs produites artificiellement. Les voies ferrées simulées étaient obtenues simplement par des toiles posées sur le sol. Quant aux signaux, ils se réduisaient à des lampes aux couleurs du code, placées à deux mètres du sol. Les trains étaient indiqués par des surfaces en bois posées sur le terrain, les unes à la suite des autres, comme les voitures d’une rame. Un éclairage latéral projetait la lumière à l’extérieur, comme si elle venait des fenêtres. Mais le "clou" était la réalisation d’un train en marche. Sur quelque 2000 mètres, l’éclairage courait progressivement d’une extrémité à l’autre, sur une longueur correspondant à celle d’un convoi moyen. C’était l’illusion du mouvement tel qu’il est donné par enseignes lumineuses. »

L'abandon du projet

Mais en vérité, un seul élément du faux Paris fut construit, et seule une partie de la zone A’ vit le jour.

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Les travaux de construction débutèrent donc au Nord de Villepinte, dans la zone dite de « l’Orme de Morlu », par la fausse gare de l’Est. Elle comprenait « bâtiments, voies de départ, trains à quais et trains en marche, amorces de voies et signaux, et une usine avec bâtiments et fourneaux en marche. Il fallut, en outre, établir un groupe de transformateurs permettant de ramener à 110 volts le courant d’énergie à 15 000 volts de la Société d’éclairage et force », selon L’Illustration.11 Ces bâtiments en bois étaient recouverts « de toiles peintes, tendues et translucides, de manière à imiter les toits de verre sale des usines. L’éclairage se faisait en-dessous. Il comprenait une double ligne, donnant, d’une part, l’éclairage normal et, d’autre part, l’éclairage réduit à l’alerte. Car c’est la discrétion des moyens qui pouvait procurer l’illusion.»13

Au demeurant, ces installations « ne furent prêtes qu’après le dernier raid allemand sur Paris en septembre 1918 ; elles n’ont donc pas l’épreuve de l’expérience. D’autre part, l’armistice vint interrompre la construction complète du plan total. », commenta La Revue militaire14 en 1930. “La guerre se termina avant que le stratagème ait fait ses preuves. L’entreprise de camouflage était inachevée lorsque l’armistice de novembre 1918 y mit un terme. Le « faux Paris » de Jacopozzi ne fut pas opérationnel.»15 conclut de façon similaire le général Gallois. Ainsi ce projet ne fut jamais qu’embryonnaire. Au tout début des années vingt, il n’en restait quasiment rien.

Les lieux où devait être construite cette ville en fac-similé requéraient que l’on s’y rende, qu’on les arpente méticuleusement, que l’on soit à l’affût du moindre signe susceptible de renvoyer à cette chimère, que l'on pousse l’investigation au cœur de la syntaxe urbaine, attentif aux lapsus du territoire. Il fallait, quand bien même le réel est toujours déceptif, accorder créance au genius loci. C’est ainsi que je me suis lancé avec mon ami ami Didier Vivien, photographe, et son fils Gaspard, étudiant en architecture, à la recherche des traces de ce faux Paris. Nous avons donc « dérivé » dans la région parisienne, en quête de vestiges hypothétiques ; le livre Paris est un leurre restitue cette petite aventure.

Le projet d'un faux Paris
Au début de l'année 1917, le service de renseignements de l'armée française sait que l'Allemagne va bientôt utiliser des bombardiers lourds. Aussi en parallèle à l'organisation pour une défense des points sensibles de Paris et de ses environs (viaducs, voies ferrées, gares, entrepôts de munitions, usines), l'état-major décide de construire un faux Paris autour de la capitale. L'idée est de réaliser en bois et en toile des volumes plus ou moins éclairés pour simuler des bâtiments, des avenues et des trains et tromper l'aviation ennemie en l'attirant vers des secteurs peu peuplés (voir illustration IV).
Le projet prévoit trois zones factices comme le montre les illustrations II et III (parues dans l'hebdomadaire The Illustrated London News du 6 novembre 1920).

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II - La commune de Saint Denis (A1) est reproduite à Roissy en France (A2),
Paris (B1) est "déplacé" vers le Nord-Ouest en B2
et une fausse zone industrielle est créée à l'Est de la capitale (C).

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III - Détail du projet du faux Paris, entre Pierrelaye et Maisons-Laffitte, au N-O de Paris,

limité par le tracé de la petite ceinture

et traversé par une boucle de la Seine ressemblant à celle de la capitale.

Le samedi 25 mai 1918, l’appariteur annonce que le lendemain il n’y aura plus de gaz faute de charbon … mais le charbon arrive à temps. (8)

Le dimanche 26 mai 1918, les enfants des écoles quêtent pour la reconstitution des foyers détruits par la guerre. (8)

Le 28 mai 1918, la mairie délivre les tickets de pain, et les bons d’essence ou de pétrole aux personnes ayant le gaz ou l’électricité qui n’en avaient pas touché. (_) 

A vrai dire, les « Gothas » commencent à nous empêcher de dormir : Les 17, 21, 22, 27, 28, 29, 30, et 31 mai 1918, Raids de « Gothas » sur la région parisienne. Malgré les tirs de barrage de plus en plus serrés, le public de Taverny s’habitue à la visite des boches, Maintenant la banlieue est plus éprouvée que Paris par la chute des bombes. (8)

Quelques faits sur la deuxième quinzaine de mai 1918. Le succès du jour ?…est le port de deux petites poupées en laine qui vous protègeront … des Gothas. Ces portes-chance s’appellent « Nénette et Rintintin ». (8)

   ptopagande

Des aventures aujourd’hui oubliées. Mais les deux prénoms eurent une autre postérité.

Pour Rintintin, on la doit au caporal américain Duncan qui, en septembre 1918, près de Toul en Lorraine, adopte deux chiots trouvés dans un chenil bombardé. Il les nomme Nénette et Rintintin en souvenir d’enfants français qui lui avaient offert les fameuses poupées porte-bonheur, puis ramène ses chiots aux Etats-Unis où, remarqué pour ses performances, le mâle, Rintintin, entame en 1922 une carrière d’acteur à Hollywood, jusqu’à la célèbre série télévisée des années 50 (avec le 4ème du nom, descendant de l’ancêtre lorrain.

Nénette, elle, doit sa notoriété ultérieure à Monsieur Henri Richaud, créateur de la« nénette », qui donna ce nom à cette brosse douce en référence à la poupée porte-bonheur de la Grande Guerre. Pour quelle raison ? Il n’eut pas le loisir de nous le révéler. Peut-être les fils de coton soyeux dont est tissée la frange évoquaient-ils pour lui la laine dont étaient faits les petits personnages ? Peut-être ce choix était-il aussi, plus largement, une forme d’hommage aux générations qui vécurent cette période ?

Etrange cousinage, en tout état de cause, entre un produit bien français pour l’entretien de l’auto et un chien américain héros de western, tous deux si emblématiques des années 50 et 60 qu’à ce titre ils ont droit, l’un et l’autre, mais séparément et sans lien entre eux, à un chapitre du livre de Jacques Gaillard « Qu’il était beau mon meccano », paru en 2009. Ce lien existe pourtant, et révèle, pour qui connaît leurs origines respectives, un aspect aujourd’hui méconnu de la 1 ère guerre mondiale.

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