Les offensives allemandes (mars et juillet 1918)
Le vendredi 1er mars 1918, à 7 heures du matin, nous voyons défiler le 279ème régiment d’infanterie avec drapeau et musique en tête. Puis dans la matinée, c’est le 221ème d’artillerie au son des trompettes qui défile. Ensuite, nous voyons passer le 307ème régiment d’infanterie, toujours musique et drapeau en tête. Je remarque que les poilus de ces régiments ont un assez grand nombre de chiens, un soldat marche à côté d’une chèvre tandis que dans une petite voiture basse se trouvent tassés plusieurs porcs. Dans l’après-midi, arrive à Taverny une partie du 338ème régiment d’infanterie. Le colonel et son état-major restent dans notre pays. (8)
Le 3 mars 1918, les rues sont couvertes de neige et le public se trouve surpris de voir les soldats balayer les rues ; c’est que nous avons aussi à Taverny la section disciplinaire où tous les hommes punis de la division viennent purger leur peine et ce sont ces hommes qui font les cantonniers. Ces mauvais soldats pour la plupart laissent une mauvaise impression sur notre population. (8)
La première quinzaine de mars 1918, fut une quinzaine d’évènements, plutôt tragiques. Notre population fut sous le coup de l’effroi et de l’angoisse ; la crainte des « Gothas » devient contagieuse. Nous nous attendons journellement à la visite des boches et bien des personnes, peut-être par bravade, se moquent des « godasses en espadrilles ». (8)
Le mercredi 6 mars 1918, les poilus assistent à une représentation cinématographique. (8)
Le vendredi 8 mars 1918, vers 21heures10, le bombardement de nos canons commence. Je regarde à la fenêtre et je vois peu de chose ; je remarque les projecteurs qui fouillent le ciel de temps en temps ; les obus de 75 et de 105 qui éclatent en tous sens. J’entends distinctement le ronflement des moteurs d’avions, mais je ne vois absolument rien. Je me couche et il me semble que le bombardement m’énerve plus qu’étant debout. Tout à coup, nous entendons quatre explosions assez fortes ; les portes et les fenêtres tremblent ou s’ouvrent. Certaines lampes allumées s’éteignent par le déplacement d’air. Enfin, vers minuit, le bombardement s’apaise ; les « Gothas » s’en retournent après avoir causé des dégâts et fait des victimes tant à Paris qu’en banlieue. Nous apprenons le lendemain que les bombes les plus proches sont tombées dans les champs près du cimetière de Saint-Leu et près du Plessis-Bouchard. A Taverny, nous retrouvons des éclats d’obus partout, plusieurs vitres sont cassées, un obus de 105 non éclaté est tombé dans la cour du café de la mairie. Inutile de décrire la physionomie et la conversation des tabernatiens : l’effet moral est énorme, la majorité de notre population est terrorisée, beaucoup de personnes sont malades de peur. (8)
Le lundi 11 mars 1918, vers 21 heures 15, la danse recommence mais il me semble que le bombardement est moins violent. Cependant nous entendons le bruit des moteurs d’avions au-dessus de nous. Je pense comme beaucoup que l’existence tient à peu de chose en écoutant ce bruit sinistre des engins de mort qui nous survolent. Par plusieurs fois, la canonnade s’arrête puis reprend. Enfin, vers minuit, le bruit des canons s’éloigne ; nous venons encore de vivre 3 heures terribles pour nos nerfs. Nous apprenons le lendemain les graves dégâts et le nombre élevé des victimes à Paris et en banlieue ; les chutes de bombes à Pontoise, Mantes et un peu partout. Cette fois les bombes les plus proches de Taverny sont tombées au Gros-Noyer. (8)
Le 14 mars 1918, la mairie délivre les cartes pour une nouvelle distribution de charbon. (8)
Engagé volontaire, le poète Guillaume Apollinaire se bat dans l'artillerie, puis comme sous-lieutenant au 96e régiment d'infanterie. Alors qu'il vient d'avoir notification de sa naturalisation, il prend position le 14 mars 1918 au Bois des Buttes, à l'extrémité est du plateau de Craonne, au pied du Chemin des Dames. Il y est blessé, le 17 mars 1918, à quatre heures de l'après-midi, d'un éclat d'obus à la tempe droite.
Dans son carnet il écrit : « Je lisais à découvert au centre de ma section, je lisais le Mercure de France. A quatre heures un 150 éclate à 20 mètres, un éclat perce le casque et troue le crâne. [...] On m'endort pour fouiller, l'éclat a enfoncé la boîte crânienne. Et y est resté, on l'y laisse. »
Trépané, affaibli par sa blessure, il mourra le novembre 1918 de la grippe espagnole.
Le vendredi 15 mars 1918, à 13h50, deux formidables explosions ébranlent Taverny. Le sol tremble, les portes s’ouvrent, les vitres sont ébranlées. Les femmes en assez grand nombre dans la rue s’affolent et crient « les Gothas ». Des hommes les rassurent (ce qui n’est pas facile) surtout qu’à ce moment on entend un avion. Les personnes plus calmes comprennent que ce sont des explosifs en grande quantité qui viennent de sauter. Quelques minutes après, nous connaissons la catastrophe : le dépôt de grenades de La Courneuve vient de sauter. De Taverny, nous voyons très bien un épais nuage de fumée qui monte, l’incendie continue l’œuvre de l’explosion. Nous apprenons par la suite que les dégâts sont considérables à La Courneuve, Aubervilliers, Le Bourget, Saint-Denis. Les carreaux se trouvent cassés à plus de 10 kilomètres à la ronde. Paris a encore souffert. Le nombre de victimes dépasse 1 500 dont 32 morts jusqu’ici. Heureusement qu’il y a un grand nombre de blessés légèrement. (8)
Le 16 mars 1918, deux entrepreneurs de maçonnerie, accompagnés de l’appariteur, viennent inspecter ma cave qui d’après eux n’est pas assez solide pour faire un abri en cas de raid d’avions. Dans le pays, un grand nombre de caves sont reconnues bonnes comme abris pour la population. (8)
Le dimanche 17 mars 1918, les quelques pompiers qui nous restent inspectent les pompes à incendie et vérifient les tuyaux par des manœuvres à eau. Ce sont là de bonnes précautions. (8)
Le jeudi 21 mars 1918, je traverse Paris à pieds ; je remarque que certains monuments sont garantis avec des sacs de terre ou des travaux de maçonnerie. Certaines statuts sont enlevées ou protégées. Les Parisiens ne causent que des « Gothas » et n’ont pas l’air rassurés ; il est vrai qu’un grand nombre ont déjà quitté la capitale. Je remarque aussi que les fenêtres et les glaces des magasins sont protégées par des bandes de papier collées en tous sens ; l’effet est vraiment curieux. (8)
Depuis le 21 mars 1918, les nouvelles du front ne sont pas plus rassurantes. Malgré le vague des communiqués militaires, le public comprend que l’Allemagne fait son plus grand effort militaire en France pour imposer sa paix. Nous apprenons la perte des villes reconquises au mois de mars 1917, il y a un an : Ham, Chauny, Tergnier, Guiscard, Noyon, Chaulnes, Nesle, Péronne, Bapaume, Roye, Lassigny etc. Le public est encore plus inquiet lorsqu’il apprend que les Allemands sont à Montdidier et avancent sur Amiens. (8)
Le 22 mars 1918, vers 20h30, alerte n°2. Mais les Allemands bombardent Compiègne et font demi-tour. (8)
Le 23 mars 1918, vers 8h30, je suis surpris de voir courir les femmes affolées. Il est certain que nous entendons les détonations, mais on s’habitue à tout. Je me renseigne ; l’alerte n°2 a été téléphonée à l’usine à gaz qui a cessé tout travail. En apprenant que les « Gothas » sont signalés, les mères de famille courent chercher leurs enfants dans les écoles ; certaines personnes ferment leurs volets ; la panique est à son comble.je médite sur « la population héroïque et brave » d’après les journaux en regardant passer ces femmes effrayées faisant courir leurs enfants à bout de souffle pour arriver plus vite ; leur visages reflètent la terreur et non la fermeté. Pendant cette journée où l’alerte prit fin à 16h, après 8 heures d’inquiétude, nous entendons toutes les 20 minutes environ une explosion. Les chemins de fer ont été arrêtés pendant l’alerte ; le train de 9 heures 22, départ de Paris, arrive à Taverny à 13 heures après avoir stationné près de 3 heures à Ermont. Tous les trains subissent des retards. La Poste n’a reçu aucun courrier sauf le matin. Le commerce et l’industrie vont rudement sentir le poids du bombardement car tout travail se trouve arrêté pendant l’alerte n°2 à Paris et en banlieue. (8)
Le soir du 23 mars 1918, nouvelle alerte, pendant 2 heures ; décidément les boches veulent atteindre le moral de nos populations. Je suis surpris que par ici nous n’ayons vu et etendu aucun avion allemand et aucunes batteries faire leurs tirs de barrage. Le lendemain matin, les journaux nous donnent l’explication et je puis dire sans exagérer que tout le monde est renversé. Les Allemands ont tiré sur Paris 24 obus de 240 avec un canon à longue portée braqué à 122 kilomètres ! Le premier communiqué du 23 mars, 11h, annonçait la visite des avions ; le deuxième communiqué de 15h annonce le bombardement à longue portée avec du 240 ! rectifié à 210 par la suite (la censure est sévère actuellement et les journaux ne donnent que des renseignements vagues). (8)
Le 24 mars 1918, jour des rameaux, le bombardement commence vers 7h. 27 obus tombent dans le courant de la journée. (8)